Rien à foutre, la rouille totale en solitaire, une journée morte à s'en tirer le nœud coulant ! Pour estomper cette solitude, je décide de franchir le seuil de ma porte pour aller prendre un bain de foule en centre ville. Je marche, ma cadence est rapide. Le pendant de ma ceinture me fait comme une sorte de bite plate et ramollie de couleur vert caca d'oie qui gigote entre mes jambes à chacun de mes pas. Ça me donne l'impression d'être un exhibitionniste ou je ne sais quoi. Ça me gène un peu, mais après tout ce n'est qu'une ceinture, et il n'y a rien d'obscène là-dedans. Au contraire, je trouve ça rigolo et terriblement excitant !
Autour de moi, je ne vois que des touristes et des gens qui semblent avoir du temps. Ils sont là, par troupeaux agglutinés autour de chaque monument, autour de chaque artiste de rue, et même autour de ces faux indiens emplumés qui jouent tous les dimanches la même mélodie typique de chez eux : « My Heart will go on » version flûte de pan et synthétiseur ! Ah, ces fameux touristes en short et chemise à fleurs, ou encore ces vieux qui se prennent pour de grands reporters photos avec leur gilet à poches couleur sable irakien et leur gros calibre autour du cou ! Et leurs gosses derrière qui bouffent des glaces en tenant la main de leurs mères qui s'empiffrent également de bonnes spécialités locales tout droit sorties du fast-food du coin ! Séance photo : « Attention, personne ne bouge, le petit oiseau va sortir ! ». Le père de famille est content. Ça va lui faire un tas de jolies photos chiantes à montrer à la famille et à ses amis à l'occasion du prochain repas dominical ! Et le mieux là-dedans, c'est que personne n'en aura rien à branler de son pitoyable petit week-end miteux dans cette putain de ville française…
Sur la grand' place, un quinquagénaire déguisé en clown vend des ballons gonflés à l'hélium. Il attend patiemment, guettant au loin les petits enfants qui ne manqueront pas de faire de gros caprices bien bruyants pour forcer leurs parents morts de honte à leur acheter un affreux cheval rose à deux pattes ! Vendeur de ballons, en voilà un boulot de pervers ! Jouer sur la faiblesse des mioches pour refiler de la camelote à des parents qui n'auront ensuite même plus les moyens de sortir dans un vrai bon restaurant. Ceux-là iront encore se faire éclater le foie et celui de leur progéniture avec des hamburgers et autres menus Big-Mac(ro). « Les enfants, nous sommes en vacances, autant se faire plaisir, non ? – Oui, merci papa ! Le McDo, c'est super !!!». Mais en réalité, ce pauvre clown pédophile n'y est pour rien, il fait ça pour gagner sa croûte, lui aussi ! Brave homme.
Soudain, j'en ai assez. Tous ces gens qui transpirent, toute cette crème glacée qui coule sur leurs T-shirts, tous ces marmots qui hurlent parce que papa veut pas acheter de ballon, tous ces autres qui hurlent parce que le marchand de ballons leur fait peur avec sa face rougeaude ! Trop c'est trop… Alors, je décide de rentrer.
En chemin, une jeune fille au regard fier et portant un badge avec une croix rouge me fait gentiment la morale pour me soutirer de l'argent : « Faut nous aider à les aider. En ce moment, des enfants meurent au Pérou »… Oui, en effet… Désolé, je suis un beauf égoïste comme les autres… J'ai pas d'argent pour vous… Mais de l'autre côté de la place, les autres Péruviens-Apaches-Navarros terriblement navrants entament une reprise originale de « Ti Amo » en se dandinant comme des dindons avec des plumes sur la tête et dans le cul… On constate alors que les gens fuient la Croix-Rouge, mais qu'ils aiment quand même le Pérou d'Amérique du Nord quand il leur vend sa jolie musique pour petites oreilles affamées d'exotisme mièvre ! Vive la mondialisation ! Vive la solidarité entre les peuples !...
Toujours sur le chemin du retour, je rencontre une petite fille au teint basané dont les cheveux gras et ondulés retombent jusque sur le haut de sa jupe flamenco. Elle me tend la main en baragouinant quelques mots de français. Et là, croyez-moi ou non, j'en ai les larmes aux yeux… Sur le trottoir d'en face, une femme qui doit être sa mère est vautrée lamentablement sur le pavé, une main tendue, l'autre soutenant un bébé immobile qui semble lui aussi jouer un rôle dans cette comédie réaliste ô combien pitoyable !... Je m'arrête un instant. La petite me regarde, je lui souris. Elle me rend ce sourire, et tend davantage la main en ma direction. Et là, vous penserez bien ce que vous voudrez, mais comme un salaud, je suis parti !... Pas question de participer ainsi à la prostitution anticipée de cette gosse de même pas dix ans en lui filant ne serait-ce qu'un centime !... Quand elle sera grande, elle sera sans doute jolie… Mais dans son malheur, elle sera sans doute vouée à vendre son joli petit cul à des gros porcs de français frustrés qui ne verront en elle que sa petite bouche juste bonne à tailler des pipes ! Ah les salopards !!!... Mais bref, il n'y a rien que je puisse vraiment faire pour elle maintenant. Je ne suis pas un super héros, et malheureusement, mon seul pouvoir face à tant de crasse, c'est de fermer ma gueule… ou alors, d'écrire !
Enfin, je suis arrivé chez moi… je retourne dans ma solitude… Rien à foutre… Alors, je vais prendre un bouquin de Nabe ou d'un autre qui me fait rire pour me remonter un peu le moral… Il fait chaud… Il est 18:56… Je vais mourir…