Quand j'avais quatre ou cinq ans, à cet âge où tous les petits garçons rêvent de devenir pompier, policier, pilote automobile ou gynécologue, moi j'avais pour très grande ambition de devenir Pape, et plus précisément Pape-docteur ! Faut dire que j'étais assez spécial. Ayant reçu une éducation catholique pourtant sans excès, j'étais obsédé par tout ce qui touchait à la religion. Chaque fois que j'allais en famille dans une église, je me prosternais à genoux devant l'autel et je priais comme si j'avais été possédé par un quelconque esprit saint ! De retour à la maison, je défonçais les mines de tous mes feutres pour réaliser de ravissants dessins de chapelles, de petits Jésus crucifiés et souriants, de tombes couvertes de fleurs et de femmes en prières… ce qui, j'en conviens, était tout à fait morbide ! Puis, j'ai appris à écrire, ce qui m'a permis d'exprimer ma foi en Dieu d'une autre manière. Je composais alors de courtes nouvelles, des histoires de moines enfermés dans leur monastère qui vouaient un culte à une Vierge dotée de pouvoirs surnaturels, tout cela dans une ambiance moyenâgeuse obscure et malsaine… Aussi, dans ma profonde naïveté, je trouvais normal que tout le monde soit chrétien, et j'admirais l'œuvre des missionnaires qui avaient réussi à évangéliser une bonne partie de la planète ! Je trouvais ça formidable, car j'imaginais que tous les « sauvages » devenaient « mes frères » une fois qu'ils avaient été marqués au fer rouge par les « gentils Pères Blancs » qui leur apportaient non seulement la bonne parole, mais aussi des médicaments, des maladies, des écoles et des obligations « civilisatrices »...
Puis quelques années se sont écoulées… A dix ou douze ans, j'avais bien sûr abandonné mes projets de carrière « médico-papale », sans pour autant me détacher de mes convictions religieuses. Je n'étais pas pratiquant, et j'allais à la messe peut-être une ou deux fois par an pour Pâques ou bien pour des mariages… En fait, ça me saoulait de devoir me tenir assis ou debout pendant une heure sans rien faire… Je n'en voyais pas vraiment l'intérêt, car si Dieu était partout, alors je pouvais très bien lui parler chez moi ! Le seul intérêt de la messe était pour moi le moment de l'eucharistie. J'attendais impatiemment le moment (si rare) où je pouvais recevoir des mains du prêtre (en espérant qu'il ait les mains propres !!!) le précieux petit steak de « chair » blanche et translucide. Pour l'obtenir, rien de plus facile ! Il suffisait de s'approcher du père, de lui tendre les mains comme un mendiant et de dire « amen » ! Après cela, je glissais la rondelle entre mes lèvres puis je la poussais contre mon palais sur lequel elle se collait instantanément. Parfois, il m'arrivait de toussoter si ma bouche était trop sèche, mais comme il ne fallait pas faire de bruit dans ces « lieux de paix », alors je m'étouffais en silence…
A ce moment là, j'avoue que je commençais vraiment à douter de l'utilité d'appartenir à une religion. Bon, c'est vrai, le fait d'être chrétien me donnait le droit, si j'étais sage jusqu'à ma mort, d'aller me reposer sur les nuages blancs du Paradis. Mais vu qu'il m'arrivait parfois de faire quelques bêtises, j'avais également peur que ce même droit se transforme en condamnation et que le gentil Bon Dieu m'envoie directement brûler en Enfer ! Alors, j'ai décidé en secret de ne plus être chrétien, c'est-à-dire de ne plus me considérer comme dépendant de la morale et des obligations imposées aux fidèles. Mais un problème subsistait en moi, car même si je n'étais plus croyant, je me sentais encore fautif, et je n'osais pas renier la religion que j'avais subie durant toute mon enfance ! En fait, j'avais encore très peur du blasphème, et dire tout haut que je n'étais plus chrétien me paraissait être quelque chose d'extrêmement dangereux ! Jusqu'au jour où j'ai enfin réussi à me raisonner et à cracher cette boule de poils pubiens d'ecclésiastique qui m'était restée en travers de la gorge pendant tout ce temps ! J'ai dit « merde » à la religion et je me suis proclamé « athée »… Ce qui est faux en réalité, puisque je continue au fond de moi à croire en une forme d'entité spirituelle… Peut-être est-ce moi ? (Egocentrique de mes couilles !!!)… En fait, l'idéal serait pour moi de me créer ma propre religion fondée sur les plaisirs de la musique et de la chair ! Une religion dont je serais le seul adepte, avec au fond de mon âme un seul guide et une seule conscience ! Une religion dont la liberté serait le seul dogme ! Les prières se réciteraient en de langoureux baisers, et le mot Amour prendrait une dimension beaucoup plus réaliste car il serait librement appliqué dans tous les sens du terme, sans retenue puritaine et sans notions de péché !
Mais attention, n'allez pas crier au scandale ! Cette démarche personnelle n'est en aucun cas la marque d'un quelconque mépris, et même si je suis convaincu de la vanité des religions, je suis avant tout pour la tolérance mutuelle entre les peuples (même si l'humanité est une merde en soi), pour le respect de toutes les religions (même si elles ne se respectent pas entre elles), et pour la diversité culturelle (ceci sans sectarisme communautaire ni mondialisation culturelle dévastatrice)!
Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelques fois si jolie
(Jacques Prévert, extrait de Paroles)